Le tour du monde du roi Zibeline by Jean-Christophe Rufin

Auteur:Jean-Christophe Rufin [Rufin, Jean-Christophe]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2017-05-24T04:00:00+00:00

Le temps était de plus en plus chaud. Sans autre ombre que celle des toiles tendues au pied des mâts, nous étions frappés pendant ces longues journées de mer par un soleil qui ardait du lever au coucher. Aphanasie avait serré ses habits japonais dans une malle et repris ses vêtements d’homme. Si légers qu’ils fussent, ils étaient encore trop chauds et elle passait le plus clair de son temps nue dans la cajoute, à lire ou à rêver, accoudée au rebord des fenêtres ouvertes. Le vent nous portait bien ; la mer, d’un beau turquoise, était étale ou presque. Des cormorans nous suivaient car dans ces parages nous allions d’île en île et la terre n’était jamais loin.

Je me méfiais désormais des escales, ne sachant jamais si mes compagnons voudraient en repartir. Cependant, la découverte du Japon avait produit un effet durable : eux qui se montraient avides naguère de se fixer sur des îles désertes et sauvages avaient soudain senti naître un appétit de civilisation qu’un séjour trop frugal n’aurait pas contenté. Ils rêvaient maintenant de la Chine, des Indes, de l’Europe. Nous fîmes escale sur une île pour renouveler nos réserves d’eau. Le climat y était doux et je fus presque tenté d’y relâcher longtemps, car Aphanasie et moi appréciions beaucoup la paix qui y régnait. Chose inattendue, ce furent mes compagnons, Oleg au premier rang, qui m’exhortèrent à rembarquer sans nous attarder.

Selon mes cartes, nous n’allions pas tarder à rencontrer la grande terre de Formose. Je la croyais peuplée de Chinois et, en tant que telle, hospitalière pour les navigateurs quelle que fût leur origine.

C’est avec confiance que nous mouillâmes sur la première côte aperçue, qui était le rivage oriental de cette île. Nous n’y distinguions pas de cultures mais seulement d’épaisses forêts. J’envoyai un canot à la découverte. Hélas, il tomba dans une cruelle embuscade. Plusieurs de nos camarades, percés de flèches, furent ramenés morts. Enragés par cette attaque, les hommes voulaient exercer leur vengeance sur les assaillants. Ceux que j’avais envoyés au secours du canot se livrèrent à un carnage parmi les indigènes. J’ordonnai une retraite rapide et nous reprîmes la mer. Il était évident que cette partie de l’île n’était habitée que par des tribus hostiles et primitives. En longeant la côte vers le nord, nous pûmes contourner Formose par son cap septentrional. À cet endroit, le rivage se révélait plus accueillant. On y distinguait des champs cultivés, des villages, et la nuit, une multitude de feux indiquait la présence d’une grande quantité d’habitants. Nous nous y arrêtâmes et je déléguai en reconnaissance un fort détachement d’hommes bien armés.

Ces précautions furent inutiles car nous fûmes accueillis dans cette baie par un personnage d’une grande bienveillance qui nous offrit une hospitalité sincère. C’était un Espagnol né aux Philippines. Ce don Hieronimo Pacheco avait pris la fuite après avoir tué sa femme qu’il avait découverte au lit avec un dominicain. Par malheur, il avait occis le moine en même temps. Ainsi au crime passionnel, qui

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